Dossier complet avec analyse du SNUipp-FSU
Évaluations nationales CP-CE1 :
les premiers résultats 2020
La dépossession professionnelle, utilisée par le ministère pour promouvoir l’individualisation des apprentissages et le resserrement sur les fondamentaux a un impact négatif particulièrement marqué, ce qui disqualifie la politique éducative de Jean-Michel Blanquer.
Pourtant, à aucun moment elle n’est remise en cause. Le ministre va même jusqu’à travestir les résultats pour justifier ses orientations, ou avoir recours à des analyses manquant singulièrement de rigueur pour tenter de mettre en avant les mesures prises.
La rentrée 2020 a été une rentrée hors-normes. Les évaluations standardisées, imposées pour la 3e rentrée consécutive en CP et en CE1, ne rendent compte en rien des difficultés des enfants à retrouver une posture d’élève, à supporter après des mois d’interruption dans un contexte parfois très anxiogène, la déstabilisation que représente tout apprentissage… Elles ne disent rien du travail des enseignant-es pour redonner un cadre collectif et pour créer une dynamique pédagogique qui entraîne tous les élèves, tout en intégrant un haut niveau de contraintes sanitaires, sans les moyens matériels et humains nécessaires.
S’affranchissant une nouvelle fois du réel, le ministre développe une analyse partiale et faussée des résultats des évaluations nationales pour réitérer les fondements de sa politique (assujettissement professionnel pour imposer l’individualisation des apprentissages et le resserrement sur les fondamentaux), dont les évaluations sont la pierre angulaire. La bataille de fond contre la politique de ce ministère, celle de la professionnalité enseignante, celle qui permet d’interroger les contenus et les pratiques au service de la démocratisation de la réussite scolaire, reste un enjeu majeur des mois à venir.
Le SNUipp-FSU s’adresse à des chercheurs et chercheuses pour approfondir l’analyse de ces évaluations. Il poursuivra son objectif d’alimenter la réflexion professionnelle et d’être l’allié privilégié des enseignant-es du 1er degré, concepteurs et conceptrices de leur métier.
Le SNUipp-FSU reviendra aussi sur les résultats des évaluations 6e de façon plus poussée.
Le détail
1. Des résultats en baisse, et surtout des écarts qui se creusent entre Education prioritaire et Hors Education prioritaire, particulièrement en REP+.
En CP :
Dans son message aux professeurs du 9 novembre 2020, le ministre déclare : « En classe de CP, les résultats sont, en français comme en mathématiques, en légère baisse, particulièrement sur les domaines travaillés en fin de grande section de maternelle. Cette baisse touche tous les secteurs d’enseignement, y compris le secteur privé, en mathématiques et en français. Les écarts entre le secteur hors éducation prioritaire et le secteur de l’éducation prioritaire, s’ils augmentent, sont cependant contenus au regard des circonstances : jamais cette augmentation des écarts ne dépasse deux points sauf dans deux domaines, « Connaître le nom des lettres et le son qu’elle produisent » (+2,9 points) et « Reconnaître des lettres » (+2,8 points). »
Le ministre oublie de préciser qu’il désigne le secteur REP. Pour le secteur REP+, les écarts augmentent de plus de deux points avec le secteur hors éducation prioritaire dans 5 domaines (4 en français, 1 en maths).
En gras : écarts > à 2 points
En CE1 :
Le ministre écrit : « les baisses sont plus sensibles. En français, alors que les performances étaient en hausse dans cinq des six domaines comparables en 2019, on observe en 2020 des baisses dans sept domaines sur huit. En mathématiques, en revanche, les performances sont comparables en moyenne entre 2019 et 2020, sauf pour les élèves les plus fragiles.
La baisse dans les domaines évalués en français concerne tous les secteurs d’enseignement. En mathématiques, seul le secteur de l’éducation prioritaire connaît une baisse. De manière générale, les écarts entre le secteur hors éducation prioritaire et le secteur de l’éducation prioritaire s’accentuent en 2020. »
De manière plus précise, on peut ajouter que les écarts augmentent entre 2019 et 2020, de plus de 2 points entre REP et HEP dans 10 domaines (6 en français, 4 en maths). Entre REP+ et HEP, les écarts augmentent entre 2019 et 2020 : de plus de 2 points dans 5 domaines (2 en français et 3 en maths), et de plus de 4 points dans 6 domaines (4 en français et 2 en maths).
En gras : écarts > à 2 points
En gras+rouge : écarts > à 4 points
Commentaires du SNUipp-FSU :
En novembre 2019 déjà, la tribune de Roland Goigoux nous alertait sur « l’échec » de la politique de dédoublement des CP en éducation prioritaire1. Trois éléments principaux étaient mis en avant :
- Suivi de cohorte : entre le début du CP et le début du CE1, « l’écart entre EP et hors EP s’est creusé d’environ 3 % en fluence, en compréhension de phrases comme en écriture de mots et de syllabes. »
- Comparaison entre REP+ et Hors EP : entre 2018 et 2019, les écarts passent de 14,5 à 15,2 points en fluence ; et de 31,1 à 32,4 points en vocabulaire.
- Niveau des élèves de REP+ : un niveau qui reste très faible… pour le « cœur de cible » de la politique du dédoublement.
Les résultats en baisse à cette rentrée 2020, et les écarts qui se sont creusés entre l’Education prioritaire et le Hors Education prioritaire, sont bien sûr à porter au compte du confinement à partir du 13 mars 2020, puis d’une réouverture des écoles sans obligation scolaire jusqu’aux vacances d’été. Mais les deux bilans successifs de novembre 2019 et novembre 2020 imposent de considérer que la politique éducative conduite est un facteur majeur d’aggravation des inégalités.
2. Une politique éducative qui repose sur la dépossession professionnelle des enseignant-es.
Depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer au poste de ministre de l’Education nationale, tous les moyens créés dans le 1er degré ont été concentrés sur l’Education prioritaire, pour dédoubler les classes de CP et de CE1. Simultanément, c’est aussi en Education prioritaire que s’est concentré le contrôle des pratiques enseignantes : mise en œuvre du vadémécum 100% réussite1, application du guide orange, pressions sur les méthodes et les manuels, resserrement sur les « fondamentaux » piloté par les évaluations standardisées.
Ainsi, 6 800 postes de RASED manquent dans les écoles, comme manquent particulièrement en cette période de crise sanitaire les postes de remplaçants (encore 210 suppressions à cette rentrée 2020). Les postes de « Plus de maîtres que de classes » ont également continué à être supprimés (-341 à cette rentrée, dont 91 en Education prioritaire), alors même que la note du comité national de suivi 2017 concluait que les élèves gagnaient en confiance et en autorégulation de leurs apprentissages et que ce dispositif contribuait à la fois à la réduction des inégalités scolaires, à l’amélioration du climat scolaire, à l’évolution des pratiques enseignantes et renforçait la dimension collective de l’école2.
Rappelons que ces évaluations nationales reposent d’emblée sur la dépossession professionnelle, puisque les réponses des élèves sont saisies en ligne pour être traitées par un logiciel et non pas analysées par les enseignant-es. Ce traitement externe donne ensuite lieu au classement des élèves en 3 groupes par item : groupes « satisfaisants », « fragiles » et « à besoins ».
Si la note de la DEPP (Document de travail 2020-E04, Novembre 2020) donne 47% d’enseignants qui « considèrent que l’évaluation leur a permis de déceler des
difficultés », ce que le DGESCO Edouard Geffray a immédiatement mis en avant dans les médias, elle nous apprend aussi que pour 83% des enseignants, cette évaluation a permis de confirmer des difficultés d’élèves : l’observation et l’évaluation à leur manière des élèves par leurs enseignant-es à cette rentrée avaient donc suffi à 83% de nos collègues pour comprendre où en étaient leurs élèves. Ces évaluations ne sont donc pas nécessaires à la profession. Par contre, elles lui sont néfastes : le rapport des Inspecteurs généraux d’octobre 20191 montrait que les enseignant-es des écoles visitées avaient abandonné leurs propres outils depuis que les évaluations standardisées étaient imposées. Ces évaluations sont avant tout des outils de pilotage qui visent à contrôler les contenus et les pratiques des enseignant-es : elles tournent ainsi le dos à ce qui devrait être une priorité, le renforcement de la professionnalité enseignante. Ce développement des compétences professionnelles est d’autant plus vital dans une période de forte perturbation, où chaque enseignant-e et chaque équipe doivent pouvoir construire les situations d’apprentissage en fonction de la réalité des classes.
S’il en était besoin pour démontrer que ce ministère ne vise pas le renforcement de la professionnalité enseignante, on peut rappeler que malgré les demandes du SNUipp-FSU, de l’ANCP-AF et de 2 autres organisations syndicales, les conseillers pédagogiques n’ont pas été autorisés à se rendre disponibles auprès des équipes en cette rentrée hors normes, pour élaborer un enseignement au plus près des besoins.
3. Entre dogmatisme, amateurisme et travestissement du réel
Peu importe le réel :
Le « message aux professeurs » du ministre Blanquer est marqué par l’abandon de tout critère de rationalité.
Ainsi les résultats en CE1 sont assortis du commentaire selon lequel « sans doute encore les parents ont-ils pu davantage accompagner leurs enfants en mathématiques et en compréhension qu’en lecture et en écriture. » Pour un ministre qui affirme s’appuyer sur « La science », on attend avec curiosité l’étude sociologique qui lui autorise cette affirmation.
Sur les résultats en hausse en 6e, on lit avec étonnement que « les élèves ont pu bénéficier des dispositifs que nous avons mis en place, que ce soit les stages de réussite, les ressources du dispositif « Je rentre en sixième » ou encore « les vacances apprenantes ». Le nombre relativement peu élevé d’élèves ayant réellement suivi ces dispositifs hors l’école ne peut statistiquement pas expliquer l’effet observé1. Plutôt que « l’autonomie acquise par les élèves [qui] leur a sans doute permis de mieux s’approprier les démarches et les ressources proposées à distance », on peut tout aussi bien pointer le fait que ces élèves de 6e, n’auront pas subi le resserrement sur les
fondamentaux et les pratiques d’entraînement mécanisé que ce ministre s’efforce de développer en cycle 2.
Renforcer les échecs :
Dans le déni des résultats donnés par la DEPP, le ministre s’auto-congratule : « Les progrès accomplis en 2018-2019 à la fin de l’école primaire n’ont pas été effacés, bien au contraire. Les premiers effets d’une approche renforcée des savoirs fondamentaux se voient de manière très encourageante ». Oubliant que les écarts se creusent entre Education prioritaire et Hors Education prioritaire, hors de toute réalité, il va jusqu’à affirmer : « La France a su ainsi amortir voire compenser les effets du confinement ».
Un peu de rationalité permet au contraire de s’inquiéter du renforcement encore annoncé des savoirs fondamentaux (« La consolidation puissante des savoirs fondamentaux à l’école primaire reste donc notre objectif essentiel », écrit le ministre), alors qu’en français comme en mathématiques, les compétences de haut niveau (compréhension, résolution de problèmes) restent clairement les plus discriminantes entre l’EP et l’HEP.
La place toujours plus importante accordée à la « fluence » interroge tout autant, le ministre annonçant que les professeurs de lettres exerçant en collège devront y consacrer du temps avec « les élèves en grande difficulté de lecture, en séance de français mais aussi dans le cadre du dispositif « Devoirs faits ». Rappelons que sur le lien entre fluence et compréhension en lecture, des chercheurs1 comme Sylvie Plane invitent à ne pas confondre corrélation et causalité. D’autres comme Eveline Charmeux alertent sur le risque que l’activité systématique de « déchiffrage oralisé », loin d’aider à la compréhension, puisse « faire écran au contraire à l’activité de construction des significations »…
Enfin, l’objectif d’une individualisation renforcée des apprentissages est affirmé : « l’exigence de personnalisation s’impose plus que jamais ». Alors que le confinement a imposé à tous les élèves une individualisation/isolement poussée à son paroxysme, l’individualisation ne peut être le recours. D’autant que là encore, de nombreux travaux (notamment ceux de Marie Toullec-Théry, de Roland Goigoux ou les conférences pédagogiques du CNESCO) nous rappellent que l’individualisation à outrance est un facteur de renforcement des inégalités. Le poids donné aux évaluations standardisées et aux protocoles de remédiation individualisée n’est donc pas une bonne nouvelle pour celles et ceux qui sont attachés à la réussite de tous les élèves.